Caroline Fourest et Aymeric Caron ont eu un échange très vif sur le plateau de « On n’est pas couché ». (Capture d’écran France 2)
Ce clash était attendu de longue date, puisque, exceptionnellement, l’émission « On n’est pas couché » avait été enregistrée dès lundi. L’exégèse du combat, faite par le public alors présent, s’était ensuite répandue comme une traînée de poudre notamment sur les réseaux sociaux. Caroline Fourest avait donné sa version des faits, tandis qu’Aymeric a attendu cinq jours pour se manifester sur Mediapart. Avant que la première ne réponde à nouveau sur son blog.
Samedi soir, il était donc temps de se pencher sur le débat qui avait tant fait parler de lui, sans que l’on puisse le voir.
Et il fallut être patient, ô combien patient, pour le spectateur, ahuri de voir s’égrainer un à un les invités, devenus fades, non pas tant pas leur prestation, que par l’attente qui s’accompagnait des longues minutes qui défilaient. « C’était trop lent », s’amuse même en pleine émission Jean-Pierre Mocky, à propos de l’invitée politique.
Et c’est aux alentours de 2 heures du matin, que l’on put enfin se faire une idée. Enfin.
Caron reproche à Fourest de manquer de rigueur
Il sera facile pour le lecteur de trouver un récit précis, ici ou là, des événements, quand les plus rigoureux n’hésiteront pas à revoir le passage en replay pour se forger leur propre opinion. Nul besoin de décrire ce que chacun peut aller chercher par ses propres moyens, avec le souci de la rigueur. Un souci qui, malheureusement, n’a guère guidé Aymeric Caron qui illustra à merveille, et bien malgré lui, on l’imagine, la morale de La Fontaine : tel est pris qui croyait prendre.
Que reproche finalement Aymeric Caron à Caroline Fourest ? Comme le plus souvent dans ces situations, il y a le dit et le non-dit.
En apparence donc, Aymeric Caron reproche à Caroline Fourest de manquer de rigueur, en prenant l’exemple de Rokhaya Diallo, qui avait déclaré sur l’antenne de RTL :
« Ce que dit Ben Laden n’est pas faux. On lui donne des arguments pour nous menacer. »
Pour Caron, Caroline Fourest ne replace pas les propos dans le contexte du débat (à savoir le retrait des troupes en Afghanistan dans une émission consacrée à l’interdiction sur le voile intégral, puisque le cerveau revendiqué des attentats du 11-Septembre avait menacé la France si la loi était votée)…
Caron oublie les nuances
Sauf que l’auteur de ces lignes a « Éloge du blasphème » sous les yeux et peut, sans peine, voir que le contexte est clairement exposé, à la page 45 :
« Au point de comprendre Ben Laden lorsqu’il menace la France d’attaques terroristes pour avoir interdit le voile intégral. »
Mais Caron, insatisfait, persiste en lui reprochant notamment une citation tronquée, puisque, par la suite, Diallo répond à un éditorialiste qui lui demande si elle soutient Ben Laden : « Bien sûr que non. »
Mais en quoi cette suite amende-t-elle la déclaration initiale de la fondatrice des Indivisibles ? Où est-il écrit dans « Éloge du blasphème » que Rokhaya Diallo soutenait Ben Laden ?
Ce n’est pas ce que Caroline Fourest lui reproche. Elle lui reproche de montrer que notre position républicaine et laïque est regrettable puisqu’elle excite les intégristes et autres terroristes. Ce qui revient à dire que lorsque l’on est menacés par des fous de Dieu, il vaut mieux rogner sur ses valeurs, au risque d’en payer un lourd tribut. Jamais il n’a été question d’une Rokhaya fanatique de Ben Laden. Juste d’une chroniqueuse un peu trop complaisante à l’égard des terroristes et bien plus distante avec l’application des principes républicains.
Mais de cette nuance, Aymeric Caron n’en a cure. Et voyant qu’il tourne en rond, comme le ferait n’importe quel naufragé de la rhétorique, il lance les fusées de détresse avec l’attaque ad hominem. Discréditer l’interlocuteur quand on ne peut le combattre sur le fond des idées.
Caron voulait seulement salir Fourest
Et pour cause : jamais dans l’émission Aymeric Caron n’évoque les thèses développées par Caroline Fourest sur les anti-racistes, qui, malgré leurs bonnes intentions, se trompent de chemin. Des sujets qu’a abordés avec précision et sans complaisance au vu des désaccords Léa Salamé.
Mais ce soir-là, Aymeric Caron n’avait pas envie d’évoquer le livre. Juste l’envie de salir Caroline Fourest. Lui rappelant notamment sa seule condamnation, après une petite décennie d’antenne, par le CSA à propos du conflit ukrainien en 2014, non pour avoir relayé une fausse information, mais parce que « l’information – eu égard à sa sensibilité – n’avait pas fait l’objet de vérifications préalables suffisantes ».
Puis il enchaîne avec l’affaire de Rabia Bentot, évoquée dans une chronique, dans laquelle Caroline Fourest dénonce les agressions contre les femmes voilées comme étant des attaques racistes, tout en invitant ses confrères à ne pas s’emballer, à propos de deux affaires où des jeunes femmes ont fait des déclarations confuses et contradictoires. Condamnée en première instance, le père de la plaignante n’a pas donné suite à l’appel demandé par Caroline Fourest, plus que surprise du jugement, rendant de facto par ce renoncement cette affaire classée sans suite.
Pas de chance pour Aymeric Caron, malgré ses attaques réitérées et hébergées par le complaisant Mediapart, lui-même mécontent d’avoir été pointé du doigt dans son aveuglement sur la question de la laïcité dans « Éloge du blasphème », le droit de réponse existe et il est sans appel, lui non plus, pour lui.
Il avoue son préjugé sur Fourest
Mais imaginons ne serait-ce qu’un instant que le jugement définitif aurait donné à tort à Caroline Fourest (ce qui n’a pas été le cas, rappelons-le). Imaginons-le un instant. En quoi cette condamnation disqualifie-t-elle l’ensemble de son travail ? En quoi une allégation trop hâtive et par trop subjective inciterait-t-elle à remettre en question 15 ans d’enquêtes sur l’intégrisme ?
Au risque de considérer que n’est journaliste que celui qui ne fait aucune erreur de sa vie. Auquel cas, Aymeric Caron serait inspiré, s’il le croit, de rendre sur-le-champ sa carte de presse.
La réalité, c’est qu’Aymeric Caron a un problème avec Caroline Fourest, et Ruquier le lui reprochera sur le plateau. Il dément : « je n’ai aucun contentieux avec Caroline Fourest », assène-t-il. Mais alors comment interpréter cette phrase lancée quelques instants plus tard, lorsque Laurent Ruquier lui demande pourquoi il ne pourrait pas la croire :
« J’ai tendance à ne pas forcément croire ce que dit Caroline Fourest. »
L’aveu du préjugé qui l’accompagne donc depuis le début de leur entretien est mis au jour. Et révèle un raisonnement biaisé, qui fait fi du fond et dont l’unique est objectif est de discréditer l’adversaire pour éviter l’impasse de ses propres idées. La rhétorique du pauvre mise en pratique par un Aymeric Caron en dessous de tout.
Clash symbolique des tensions qui traversent la gauche
L’autre réalité c’est que ce fan – sans distance – d’Edwy Plenel, pense, comme lui, et à tort, que la laïcité incarnée par Caroline Fourest pénalise surtout et avant tout l’islam. La laïcité met sur un même pied toutes les religions. Toutes.
Vincent Tournier, maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble, explique avec lucidité qu’au-delà d’une querelle entre deux personnages, se joue ici le schisme qui scinde la gauche sur la question de la laïcité et du rapport au religieux :
« (Aymeric Caron) représente une certaine gauche morale, celle qui est née dans les années 1980 et dont le socle idéologique est constitué par l’antiracisme, l’ouverture européenne, le pluralisme culturel. Sa préoccupation est de déconstruire le discours des Cassandre du malheur, des réacs en tout genre, des pessimistes qui annoncent le pire. »
À l’inverse, le politologue dresse le portrait de Caroline Fourest, irréconciliable avec le précédent :
« Elle a tout pour figurer en bonne place au Panthéon de la gauche morale. (…) Et pourtant, elle met les pieds dans le plat en prenant pour cible l’islamisme, en critiquant les multiples renoncements de la part des progressistes, en pointant l’indulgence face à l’obscurantisme. (…) Elle dénonce surtout la complaisance et le manque de clairvoyance d’une partie de l’intelligentsia envers l’islamisme, accusant les anti-racistes de renoncer à leurs valeurs sous prétexte de ne pas froisser ceux qui sont supposés être les nouveaux damnés de la terre. Ce faisant, Caroline Fourest met en lumière les tensions qui traversent la gauche. »
Incarnant le camp de ceux que finalement Caroline Fourest montre du doigt, ces idiots utiles de la République qui sous les oripeaux de l’anti-racisme, ferment les yeux et avalent la couleuvre obscurantiste, Aymeric Caron n’est finalement parvenu qu’à mettre en lumière qu’une seule chose ce samedi soir sur le plateau d’ « On n’est pas touché » : la justesse du combat de Caroline Fourest.
>> En images, les plus gros clashs sur le plateau de Laurent Ruquier :
Source Article from http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1363143-video-onpc-caroline-fourest-peut-remercier-aymeric-caron-ce-clash-valide-son-combat.html
Source : Gros plan – Google Actualités