Le secrétaire général adjoint de l’Elysée est un sous-fifre, selon les juges, du moins sous la mandature de l’omniprésident Sarkozy. En conséquence de quoi François Pérol a été relaxé jeudi du délit de prise illégale d’intérêts. L’homme était poursuivi pour avoir été bombardé à la présidence du nouveau groupe bancaire BPCE – né de la fusion des groupes Banque populaire et Caisse d’épargne – juste après avoir occupé le poste de conseiller économique et financier de Sarkozy. Le code pénal réprime en effet le passage au privé d’un agent public dans une entreprise dont il aurait préalablement «assuré le contrôle ou la surveillance», mais aussi à propos de laquelle il aurait «proposé des décisions» ou «formulé des avis».
«Le meilleur». A l’époque, en 2009, Nicolas Sarkozy disposait d’un argument massue pour pousser, en pleine crise financière, son conseiller : 5 milliards d’euros d’argent public étaient débloqués pour éviter la faillite aux deux banques avant fusion. «Le président de la République, Nicolas Sarkozy, s’est immiscé dans le fonctionnement interne d’une banque, relève le tribunal correctionnel de Paris, mais il ne nous appartient pas de juger ce comportement.» Sarkozy étant protégé par son immunité présidentielle, il ne risquait rien dans l’affaire, si ce n’est quelques attendus saignants : «Le fait pour le président de la République de nommer son plus proche collaborateur à la tête de la BPCE pouvait entraîner de légitimes interrogations.» Tout en égratignant au passage son conseiller, dont «la confrontation entretenue entre fonctions publique et privée ne cesse d’interroger» : conseiller de Sarkozy à Bercy, puis banquier chez Rothschild, puis conseiller de Sarkozy à l’Elysée, puis banquier à la BPCE…
Mais François Pérol, à entendre le jugement, n’aurait pas pris une «quelconque initiative», ni donné «aucune impulsion» en vue de piloter la création de la BPCE avant d’en prendre la tête, en simple soldat zélé de Nicolas Sarkozy. Lequel avait signifié aux patrons des banques en cours de fusion : «Vous connaissez François Pérol. Je ne souhaite pas qu’il quitte ses fonctions auprès de moi, il n’est pas candidat, mais je pense qu’il est le meilleur.» Un conseil très appuyé, si ce n’est un ordre. Le parquet, requérant lors du procès, en juin, deux ans de prison contre François Pérol (le maximum légal, quoiqu’assorti de sursis), insistait également sur la dimension d’une affaire «régalienne, souveraine, que rien ne saurait soustraire de sa présidentialité».
Entre ici en scène le Rantanplan de la Sarkozie, Claude Guéant en personne. En cours d’instruction, cet homme à tout faire de Sarkozy avait nié jusqu’à l’absurde, proclamant que l’initiative de nommer Pérol à la BPCE proviendrait «des banques elles-mêmes». Avant de se rapprocher de la vérité en témoignant lors du procès : «Le Président a demandé à M. Pérol de prendre cette fonction, en ne lui laissant guère le choix.» Guéant croyait bien faire en épargnant son ancien collaborateur élyséen, au risque de nourrir l’accusation de prise illégale d’intérêts. Pérol avait alors dû ramer : «Le Président ne m’a pas donné d’instruction, mais a plutôt été ambivalent. C’était ma décision, pas la sienne.»
A l’audience, son avocat, Me Pierre Cornut-Gentille, avait subtilement plaidé que François Pérol se contentait modestement «d’informer» Nicolas Sarkozy, et non pas de «l’aviser» ou de lui «proposer» des solutions, deux termes figurant dans la définition de la prise illégale d’intérêts. Après la relaxe de son client, il avait le triomphe modeste : «Le tribunal a dit le droit, dans une affaire complexe où il fallait se détacher des considérations morales ou politiques.» A côté, François Pérol, sincèrement ému et manifestement soulagé, ne cessait d’enlacer ses proches.
Déontologie. Ultime polémique : la fausse saisine de la commission de déontologie de la fonction publique. «Elle a donné son feu vert», plastronnait alors Sarkozy. «Le Président s’est trompé, c’est tout, avait dû rectifier Pérol à la barre, pourquoi aurait-il menti ?» Pour mémoire, l’Elysée avait saisi le président la commission de déontologie dans l’urgence le temps d’un week-end. Lequel avait délivré un simple avis, avec une prudence de Sioux qui ne saurait valoir feu vert. «François Pérol et son supérieur hiérarchique Claude Guéant se sont affranchis des règles et ont, de concert, procédé à un habillage déontologique», tonnaient les juges d’instruction en charge de l’affaire.
A l’audience, le parquet estimait que ce tour de passe-passe «scell[ait] l’élément intentionnel du délit» de prise illégale d’intérêts. Dans son jugement, le tribunal a rétorqué qu’il n’y aurait pas là une «volonté délibérée de contourner» la loi sur le pantouflage. Avant, toutefois, de suggérer qu’il «eut été de bonne pratique» de saisir la commission de déontologie dans les formes requises. Car la justice pénale ne peut répondre à tout, suppléer à tous les dysfonctionnements au sommet de l’Etat, fussent-ils majeurs. Le parquet ayant fait appel, elle aura l’occasion de refaire le match.
Renaud Lecadre
Source Article from http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/24/pantouflage-francois-perol-relaxe-nicolas-sarkozy-savate_1390150
Source : Gros plan – Google Actualités