Du grand art. Malgré son absence au gouvernement, Martine Aubry se voulait une personnalité de gauche incontournable. Celle qui avait endossé le rôle de bonne conscience d’une «nouvelle social-démocratie» face au «social-libéralisme» devant lui permettre de maintenir l’«équilibre» dans la majorité, isoler les plus à droite de son parti et maintenir les positions de ses amis dans les fédérations socialistes. L’histoire du PS retiendra une chose : ce 77e congrès aura été celui où Aubry s’est fait «marcher dessus» – pour reprendre les mots d’un député – sans dire un mot à la tribune. Ainsi, sitôt les portes de Poitiers fermées, la motion majoritaire – dont elle se vantait avoir «tenu la plume» – a vite été rangée dans le grand placard socialiste des textes qu’on ne respectera pas tandis que le gouvernement reprenait ses coups de canif dans le code du travail. Ultime humiliation, Aubry a perdu jeudi soir sa fédération du Nord. Son fidèle Gilles Pargneaux, eurodéputé, s’est fait distancer dès le premier tour. Un désastre.
La maire de Lille pourra toujours se consoler d’avoir sauvé – mais pour combien de temps encore ? – la tête de Pierre de Saintignon comme chef de file des socialistes en Nord-Pas-de-Calais-Picardie. La candidature de cet ami de longue date, premier adjoint à Lille, a pourtant du mal à passer dans les fédérations picardes et calaisiennes. Elle pourra aussi se réjouir, comme s’en félicitait un de ses proches à Poitiers, de n’avoir «pas donné le parti à Valls».
Vieille garde, nouveaux ennemis
Il n’empêche : la défaite de Pargneaux devant les militants du Nord prend des allures de fin de règne pour l’ex-première secrétaire du PS. Elle illustre les fragiles fondations de la maison Aubry. Certes, elle a la main sur son bastion Lillois, gardé sans trop de problèmes aux municipales l’an dernier et où les scores aux départementales ont été bons. Mais alors que Pargneaux était contesté localement, elle a pris le risque de le maintenir jusqu’au bout, tentant de rafistoler l’édifice avec des promesses de rénovation et allant jusqu’à envoyer aux militants un courrier de trois pages, la veille du vote, pour appeler à élire l’eurodéputé.
Camouflet total : malgré l’intervention de Paris et – pour la forme – de l’exécutif, la vieille garde nordiste et ses nouveaux ennemis – le ministre de la Jeunesse et de la Ville, Patrick Kanner, en tête – ont eu sa peau. Les premiers, proches historiques de Pierre Mauroy, n’ont jamais accepté que la fille de Jacques Delors leur souffle l’héritage lillois. Le second, ancien adjoint d’Aubry à Lille, rêve de l’hôtel de ville en 2020 et veut tout faire pour bloquer la route au député de l’Essonne, François Lamy, qu’Aubry a fait venir dans le Nord il y a quelques mois. Et, sur ce coup, ils ont été bien aidés par ceux, plus à gauche, aussi fatigués par la gestion des affaires militantes locales par Pargneaux que blessés par le refus d’Aubry de les rejoindre pour constituer, au congrès de Poitiers, une alliance destinée à faire basculer la majorité du PS de leur côté.
Oubliée la motion votée
Ses proches estiment qu’en ayant choisi la motion A du premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, ils auront contraint le gouvernement à engager la «réorientation» qu’ils prônent depuis des mois. Las… Ce qu’il reste de milliards pour le «Pacte de responsabilité» ne sera pas utilisé à autre chose qu’à aider les entreprises, la «réduction de la CSG sur les premières tranches de revenus» n’aura pas lieu, le gouvernement ne reviendra pas sur les baisses de dotations de l’Etat aux collectivités locales, ni sur l’extension du travail le dimanche, et personne ne parle de cette loi sur la «sécurité sociale professionnelle» que les aubrystes avaient tenu à faire inscrire dans le texte d’orientation choisi par la majorité des militants socialistes. Elle aura beau faire son retour au bureau national du PS, à vouloir jouer sur plusieurs tableaux – critique ouverte du gouvernement après un long silence, puis constitution expresse d’une fausse majorité allant jusqu’à Manuel Valls et les plus à droite du PS sur un même texte d’orientation –, Aubry a fini par perdre son autorité. Et sa crédibilité.
Source Article from http://www.liberation.fr/politiques/2015/06/12/martine-aubry-naufragee-de-poitiers_1328138
Source : Gros plan – Google Actualités