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L’ovocyte, l’entreprise et la norme sociale – Blog Le Monde (Blog)

Niki de Saint Phalle aurait eu 84 ans hier. Le Grand Palais consacre actuellement une rétrospective à son œuvre, et dans la grande salle où trônent ses célèbres « Nanas » – des sculptures colorées de femmes plantureuses qui dansent, et qui ont fait sa renommée internationale- on découvre des interviews inédites de l’artiste. A une journaliste qui lui demande ce qui explique selon elle le succès des Nanas, elle répond que, dans une société « scientiste » gouvernée par « l’idéologie du progrès », la féminité se trouve « écrasée », et que les Nanas, incarnations d’une féminité joyeuse et libérée, ont répondu à un désir enfoui et brimé d’expression de cette féminité. Elle va plus loin, en disant que la part féminine de l’homme est également écrasée, et que ce dernier est lui aussi – bien que différemment – victime de l’oppression de la féminité, en chacun et au sein de la société. Chez Niki de Saint Phalle, la féminité renvoie à des « qualités » spécifiques : l’émotion, la création, la poésie. Mais, et c’est essentiel, ces qualités n’appartiennent pas aux seules femmes selon elle. Les hommes devraient les cultiver aussi, pour un mieux être de la société toute entière.

L’actualité nous a fourni récemment une formidable, mais terrible, illustration de l’intérêt de cette vision.  Quelques grandes entreprises de la Silicon Valley pourraient bientôt proposer à leurs salariées de prendre en charge une partie des frais de la congélation d’ovocytes, afin de leur permettre de remettre à plus tard leur grossesse, et de s’affranchir ainsi de la tyrannie de l' »horloge biologique ». A première vue pourquoi pas? La grande force des Anglo-saxons réside dans leur pragmatisme à toute épreuve. Le fait d’être femme – et donc de ne pouvoir procréer dans de bonnes conditions qu’entre 20 et 35 ans – est facteur de ralentissement de la carrière professionnelle? Contournons l’obstacle si le progrès technique nous le permet! C’est un choix supplémentaire qui est offert aux femmes, et aucunement une obligation qui leur est faite.

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On passera rapidement sur les points aveugles d’un tel projet, déjà largement débattus Outre-Atlantique, et notamment la question de savoir pourquoi les femmes quarantenaires (qui auraient alors des enfants) manqueraient moins aux entreprises high-tech que les trentenaires. Mais plus encore, cet exemple rappelle à quel point une certaine approche de l’égalité entre hommes et femmes pèche par son formalisme, et ne pose pas les bonnes questions.

En effet, derrière le fait de remettre la maternité à plus tard, c’est la possibilité de faire « comme les hommes » au travail, et de bâtir une carrière équivalente, qui est offerte aux femmes. Très bien. Mais on passe sous silence le fait qu’ il n’est pas demandé aux hommes de renoncer à devenir père entre 25 et 35 ans, au motif que ce serait incompatible avec une vie professionnelle intense. L’homme de 40 ans qui travaille 60 heures par semaine est souvent père de deux enfants. Et la fameuse conciliation « vie professionnelle – vie privée » est bien souvent la seule affaire des femmes.

Autrement dit, si on y regarde de près, on constatera que beaucoup des règles informelles qui régissent le monde du travail ont été établies par des hommes, pour des hommes. Et que si les femmes veulent jouer selon ces règles, il leur faut devenir « un homme comme les autres ».  Mais un ersatz d’homme qui fait des sacrifices que les hommes, les vrais, ne sont pas contraints de faire. Eux qui peuvent « tout » avoir en même temps : la carrière, la vie de couple, les enfants.

En somme, la question n’est pas seulement de savoir ce qui permet aux hommes et aux femmes d’être « égaux » sur le lieu de travail, même si c’est une question majeure, par exemple sur le sujet des rémunérations. Il faut aussi, et c’est plus encore difficile, avoir le courage d’interroger les normes sociales sur lesquelles fonctionne la sphère du travail, et qui sont à la racine des inégalités entre hommes et femmes. Derrière ce terme compliqué, « normes sociales », se trouvent l’ensemble des règles informelles qui régissent implicitement les comportements individuels et collectifs. Ainsi, les entreprises high tech de la Silicon Valley sont implicitement gouvernées par une norme selon laquelle le salarié passe 60 heures par semaine à travailler, et doit être en état de mobilisation quasi permanent. C’est d’abord cela qui devrait être questionné, pour l’avenir des femmes… comme pour celui des hommes. Car si l’on est capable de dire haut et fort qu’une femme qui n’est jamais chez elle avant 22h ne peut pas être une bonne mère, pourquoi ne pourrait-on dire qu’un homme qui en fait autant ne peut être un bon père? Et ils sont nombreux aujourd’hui à revendiquer le désir de vivre leur paternité autrement que selon le schéma traditionnel de la mère impliquée auprès des enfants et du père chef de la maisonnée qui rapporte l’argent.

Questionner la norme sociale qui est au fondement de la difficulté des femmes à accéder à certaines fonctions ou entreprises, c’est sortir du débat sur « les femmes », ce dont elles ont besoin, les qualités qu’elles auraient ou pas en propre etc. pour poser la question de ce que hommes et femmes veulent collectivement. Et c’est là que Niki de Saint Phalle se rappelle heureusement à nous. Car elle a eu l’intuition que les hommes étaient, autant que les femmes, victimes d’un partage des rôles figé. C’est peut-être du désir des hommes de vivre autrement que selon les stéréotypes du mâle gagnant beaucoup d’argent et rentrant très tard le soir, que viendra la solution. Plutôt que d’attendre des femmes qui veulent réussir qu’elles s’adaptent– tant bien que mal –  à ces clichés. Malheureusement la Silicon Valley nous montre le plus mauvais chemin. Celui d’une implication toujours plus grande dans l’entreprise, qui nous débarrasserait de l’encombrante question des stéréotypes de genre.

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Source Article from http://modesdevivre.blog.lemonde.fr/2014/10/30/lovocyte-lentreprise-et-la-norme-sociale/
Source : Gros plan – Google Actualités

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