Des dispositions essentielles de la très polémique loi sur le renseignement, votées par une trentaine de députés dans un hémicycle vide ? L’image a provoqué l’indignation des internautes en ce début de semaine. Pourtant, si elle peut paraître scandaleuse, la réalité de la vie parlementaire est souvent différente de ce genre de clichés.
L’absentéisme des députés est un mal ancien, souvent lié au fait que ceux-ci cumulent avec d’autres mandats électifs. Toutefois, la réforme de 2008 n’a pas arrangé les choses pour ce qui est des présences en séance publique. Désormais, les textes examinés en séance sont ceux adoptés par la commission : le vrai travail de modification du texte se fait donc surtout en commission et la séance n’est bien souvent qu’une répétition de ce qu’il s’est déjà dit en commission.
Autre particularité, la « discussion générale » qui ouvre chaque débat de texte est particulièrement inintéressante pour les députés qui sèchent souvent cette première partie : pendant des heures, des orateurs défilent à la tribune pour expliquer en 5 à 10 minutes leur point de vue sur le texte. Les mêmes arguments sont souvent répétés en boucle par plusieurs personnes – arguments qui ont par ailleurs déjà été exposés dans les médias le plus souvent – et aucun débat à proprement parler n’est possible pendant cette période. C’était le cas lundi 13 avril après-midi, pour les premières heures du débat sur le texte sur le renseignement.
En ce qui concerne les votes d’articles les uns après les autres lors des débats en séance, il arrive souvent que quelques dizaines de députés soient effectivement là pour les voter, surtout s’ils ont lieu tard le soir. En revanche, les élus sont toujours pratiquement tous là pour les « votes solennels » de l’ensemble des textes qui ont lieu le mardi et qui sont les plus importants pour l’adoption finale, même si tout a déjà été adopté dans le détail. Cela peut parfois créer confusions et frustrations, et la loi Macron en a été un bon exemple. Lors de la séance de question au gouvernement du 17 février, le rapporteur général du texte, le socialiste Richard Ferrand a rappelé que, « après quatre-vingt-deux heures d’examen en commission et plus de cent heures de débat dans cet hémicycle, les articles du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ont été adoptés », les uns après les autres. Pourtant, au moment de voter tout le texte, l’après-midi même, des voix risquaient de manquer et le gouvernement a donc décidé de faire usage du 49-3.
En outre, si un député est présent à moins des deux tiers de ces votes solennels, cela peut entraîner une retenue du tiers de l’indemnité de fonction pour une durée égale à celle de la session (voire de la moitié si le même député a pris part à moins de la moitié des scrutins).
En sus du travail en séance attendu de la part des députés, ces derniers siègent tous dans des commissions permanentes qui sont au nombre de huit : affaires culturelles et éducation, affaires économiques, affaires étrangères, affaires sociales, défense, développement durable, finances, lois auxquelles s’ajoutent la commission des affaires européennes. Ces commissions se réunissent chaque mercredi matin soit pour examiner des textes, soit pour mener des auditions. D’autres travaux occupent également les élus : des commissions d’enquête (il y en a deux en ce moment, une sur les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain et du droit de manifestation et une sur la surveillance des filières et des individus djihadistes) mais aussi des missions d’information telles que le groupe de travail sur les institutions, présidé par Claude Bartolone et qui se réunit une fois par semaine, ou encore la commission sur le numérique, présidée par le socialiste Christian Paul. Individuellement, les députés se voient aussi régulièrement attribuer des missions de réflexion sur des sujets divers, comme en ce moment les socialistes Malek Boutih et Sébastien Pietrasanta, « parlementaires en mission » sur la radicalisation islamiste.
Enfin, des élus siègent également dans d’autres instances telles que la délégation parlementaire au renseignement, la commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques ou encore divers offices parlementaires, groupes d’amitiés et autre comités.
Un député doit aussi se rendre dans sa circonscription pour y tenir une permanence et rencontrer ses administrés, ce qui implique donc des allers-retours entre Paris et la circonscription, et une partie du temps passé hors de l’Assemblée, souvent les lundis et vendredis.
7 100 Un député gagne 7 100 euros par mois brut en additionnant ses diverses indemnités. Il dispose en outre de 5 570 euros, qui lui permettent de régler des frais divers (transport, réception,etc). Depuis quelques semaines, cette indemnité représentative de frais de mandat ne peut plus servir à acheter de l’immobilier (les précisions sur l’encadrement de l’RFM). Enfin, il dispose de 9 604 euros brut pour rémunérer ses collaborateurs.
Un sénateur est peu ou prou à la même enseigne : 7 100 euros brut d’indemnités diverses en guise de salaire, plus une indemnité pour frais (plus élevée que celle des députés) à 6 037 euros brut. Un sénateur n’a « que » 7 500 euros pour rémunérer ses collaborateurs, moins qu’un député.
Ces rémunérations sont à n’en pas douter plus que confortables. Elles ne sont cependant pas les plus élevées en Europe : un parlementaire grec touche 8 500 euros net par mois, un Allemand, 7 688 euros, selon une enquete de MyEurop.info.
Là encore, ce n’est pas tout à fait exact. Certes, il y a bien pire situation que celle de député ou de sénateur : un parlementaire bénéficie d’avantages importants : gratuité des transports en train en première classe, forfait de voyages aériens, remboursement de forfaits mobiles et des abonnements Internet, notamment. Ils bénéficient aussi d’un bureau à Paris. Mais « tout » n’est pas gratuit. Un député doit se loger à Paris, recruter des collaborateurs, louer des bureaux pour sa permanence en circonscription, équiper ses collègues d’ordinateurs et de téléphones.
Surtout, la carrière d’un député n’est pas forcément très longue. L’élu, qui a souvent quitté ses fonctions « civiles », devra les retrouver au terme de son mandat, s’il y parvient. Ce qui, pour un médecin, un avocat ou un entrepreneur, peut poser de réelles questions financières.
Etrange rumeur, qui a la vie dure : les parlementaires sont pourtant bel et bien imposés sur leurs revenus. Evidemment, l’imposition porte sur leur seule indemnité « personnelle », et donc pas sur l’indemnité pour frais de mandats ou sur la rémunération des collaborateurs.
S’agissant de l’IRFM (Indemnité représentative de frais de mandat), la question peut se poser, puisqu’elle constitue bel et bien une forme de revenu. Autre bizarrerie : parmi les nombreuses indemnités qui composent le revenu d’un parlementaire, l’indemnité de fonction (1 420 euros environ) n’est pas imposable. Un député ne doit donc s’acquitter d’impôts que sur le reste de son traitement, soit 4 000 euros net environ.
Mais députés comme sénateurs paient bien des impôts sur le revenu, TVA ou taxe foncière. Et, rappelons-le, c’est aussi le cas des parlementaires européens.
L’Assemblée a son propre parc automobile avec chauffeurs, au nombre de 63 selon des informations de 2012, soit une moyenne de un chauffeur pour neuf à dix députés. Ces chauffeurs peuvent être affectés au service d’une personnalité comme le président de l’Assemblée nationale, les vice-présidents, les présidents de groupe politique ou de commission, ou bien travailler au sein d’un « pool », mais ils ne sont jamais affectés au service d’un « simple » député.
Quand les élus rentrent dans leur circonscription, c’est bien souvent en train et c’est ensuite leur voiture personnelle qu’ils récupèrent sur le parking de la gare. Si certains députés peuvent avoir un chauffeur à disposition en circonscription, ce n’est que grâce à leur éventuel autre mandat, comme les présidents d’agglomération, de conseil général départemental ou régional. Quant aux logements de fonction, ils ne sont offerts qu’à quelques personnalités de l’Assemblée : c’est le cas du président, qui dispose de l’hôtel particulier de Lassay et des trois questeurs, qui occupent chacun un appartement dans l’hôtel de la questure au sein du Palais-Bourbon.
Tous les députés disposent en revanche d’un bureau, dont certains seulement avec lit (en général attribués aux élus dont la circonscription est la plus éloignée de Paris). Les autres qui n’habitent pas Paris peuvent dormir dans une résidence de la rue Saint-Dominique, pour 30 euros (non remboursés) par nuit ou dans un l’hôtel du groupe Accor (qui gère aussi la résidence), avec un remboursement maximum de 140 euros par nuit.
Les parlementaires n’ont aucun intérêt financier à siéger dans une commission ou une mission en plus de la commission permanente à laquelle ils sont rattachés. Leur participation n’affecte en rien le montant de leur indemnité et ils ne touchent ni prime ni autre avantage. En revanche, les députés trop souvent absents aux réunions de leur commission permanente se voient infliger des pénalités financières, à savoir une retenue de 25 % sur le montant mensuel de leur indemnité de fonction. Cette retenue n’est pas applicable aux membres du bureau de l’Assemblée nationale – hormis les secrétaires –, aux présidents de groupes et aux élus d’une circonscription située hors du continent européen.
Récemment, une proposition de loi adoptée par le Parlement a fait parler d’elle au motif qu’elle offrirait un « parachute doré » aux députés en « doublant l’indemnisation des élus à la fin de leur mandat », selon l’association Contribuables associés. Comme nous l’avions déjà expliqué, ces critiques étaient exagérées et se fondaient sur des raccourcis, au premier rang duquel le fait que le texte ne concernait que les élus locaux – et non les députés.
A l’issue de leur mandat, les députés quant à eux reçoivent bien une « allocation d’aide au retour à l’emploi » dégressive et différentielle (elle prend en compte tous les autres revenus de l’ex-élu) d’une durée maximale de trois ans mais, financée par leurs cotisations et ne concernant ni les fonctionnaires ni les retraités. Agacée des rumeurs infondées sur ce sujet, la député UMP Laure de la Raudière y avait d’ailleurs consacré un post de blog en 2011.
Source Article from http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/17/les-deputes-ne-sont-jamais-a-l-assemblee-et-8-autres-cliches-sur-les-elus_4618180_4355770.html
Source : Gros plan – Google Actualités