Deux fous de musique bouclés dans une église, un pianiste et un violoncelliste, placés sous la protection de Saint-François d’Assise : ce fut un moment d’exception et de grâce, de ceux qui vous font remercier le ciel de vous avoir guidé jusque là. Samedi 6 septembre, dans l’église baroque de la Sé, à Olinda (Pernambouc), Egberto Gismonti, pianiste, guitariste, compositeur, retrouvait son ami et ancien partenaire Jaques Morelenbaum, violoncelliste et arrangeur, avec qui il n’avait pas joué depuis vingt-deux ans.
Egberto Gismonti, longue crinière blanche dépassant d’un bonnet tricoté, est un exubérant qui cherche les failles, les interstices, les sens détournés. Figure phare du label allemand ECM, il a joué avec l’aristocratie du jazz contemporain – Jan Garbarek, Charlie Haden –, étudié à Paris avec Nadia Boulanger, inventé de folles interprétations de la Bachania Brasileira n°5 d’Heitor Villa-Lobos, passé quelques mois en Amazonie dans les réserves indiennes du Xingu.
Jaques Morelenbaum, tout en rondeurs, est l’homme de plusieurs mariages et fidélités de longue durée : dix ans à jouer avec Antonio Carlos Jobim (jusqu’en 1994), puis cinq ans avec Gismonti, avant de rejoindre la tribu de Caetano Veloso. C’est son travail avec ce dernier qui l’a fait connaître en dehors des frontières brésiliennes, et notamment les superbes arrangements qu’il a conçus pour l’album Estampa Fina, collection de chansons sud-américaines, où Pedro Almodovar puisa un Coucourroucoucou Paloma d’anthologie pour son film Parle avec elle (2002).
UNE NOTE À CÔTÉ ET LA GUERRE EST OUVERTE
Jaques Morelenbaum se faisait du souci : son ami Egberto est d’une précision légendaire, une note à côté et la guerre est ouverte. Or, pour le concert olindense, les deux compères ont refait tous les arrangements au millimètre près. Gismonti s’amuse aux mélanges (Sete aneis, de sa composition, entrelacé à Charlie Haden, le contrebassiste américain mort en juillet), revient sur la musique qu’il étudia à Paris avec Jean Barraqué, compositeur de musique sérielle et élève d’Anton Webern, introduit des rythmiques indigènes. Jaques Morelenbaum, quant à lui, étend jusqu’à l’infini Retrato em branco e preto, de Tom Jobim. A eux deux, ils organisent un flirt constant entre le populaire et l’érudit.
LE PUBLIC APPLAUDIT DEBOUT
Le public, très jeune, mélangé socialement (l’entrée est gratuite), applaudit debout, dans l’église et dehors, où est installé un écran géant. Gismonti le félicite, et plébiscite, sans aucune référence au football, « cette immense équipe brésilienne jamais définie, en transformation constante, qui vit son droit à la contradiction, à la liberté de se transformer en permanence ». Tonnerre d’applaudissements. A Olinda, cité fondée en 1537, le festival MIMO organise des rencontres improbables et accompagne les hasards heureux. Créé en 2004 à Olinda, le MIMO se tient désormais de fin août à octobre dans quatre villes « historiques » : Olinda dans le Nordeste, Parati sur le littoral sud, Ouro Preto et Tiradentes dans les Mines générales, épicentre du baroque tardif brésilien.
« ICI, LE PEUPLE EST CULTIVÉ »
Gismonti et Morelenbaum jouent une musique d’un extrême raffinement, inédite, brésilienne jusqu’à la moelle, au sens où l’entendaient les poètes du mouvement Anthropophage des années 1930, où tout ce qui est passé par ici a été absorbé, trituré. « Ici, ajoute Gismonti, né en 1947 à la frontière de l’Etat de Rio et des Mines générales, le peuple est cultivé. Les repentistas [poètes improvisateurs du Nordeste] inventent constamment des mots pour enrichir leurs rimes, la rue les reprend et cela finit par arriver jusqu’à l’Académie brésilienne. Etre brésilien, ce n’est pas un état, c’est un mouvement. »
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Source : Gros plan – Google Actualités