Le philosophe préféré des Français a surpris par ses sorties sur les migrants et le « peuple old school ». Est-il pour autant un suppôt de Marine Le Pen? Décryptage.
Un délicieux frisson secoue l’intelligentsia depuis quelques semaines: Michel Onfray aurait viré à droite! Et même à l’extrême droite, si l’on en croit Libération, qui soupçonne le philosophe d’Argentan de « ménardisation » – néologisme forgé en l’honneur de Robert Ménard, passé, en quelques années, de la gauche aux portes du Front national.
D’autres évoquent Marcel Déat, ce philosophe d’extraction modeste – tiens, tiens… – qui a fait ses débuts à la SFIO et a fini à Vichy. On l’a même qualifié Onfray – horresco referens! – de « Finkielkraut bis ». Michel Onfray fut donc récemment sommé de rendre des comptes sur le plateau de Laurent Ruquier – il en a profité pour pulvériser ses procureurs d’un (samedi) soir, Léa Salamé et Yann Moix, lesquels lui avaient ingénument demandé, en guise de première question: « Qu’est-ce que c’est que le peuple? » et s’étaient attiré cette cinglante réponse: « Il est assez symptomatique que vous ne sachiez pas ce que c’est… »
Mais qu’a bien pu dire le philosophe – dont le dernier ouvrage, Cosmos (Flammarion), est, comme les précédents, un best-seller, et qui peut se targuer d’avoir 89000 abonnés sur Twitter – pour mériter un tel procès en lepénisme? C’est une interview accordée au Figaro qui a mis le feu aux poudres, à la mi-septembre. A propos du cliché du petit Aylan échoué sur une plage de Turquie, Michel Onfray répond: « Une photo peut être une manipulation » – ce n’est pas, loin de là, la plus pertinente de ses sorties… Surtout, il s’en prenait une nouvelle fois à la gauche libérale, coupable d’avoir offert une chaîne de télévision à Berlusconi plutôt que de s’être souciée du « peuple old school », cette France oubliée qui souffre, pendant que les think tanks de gauche s’interrogent sur la « théorie du genre », pas exactement sa tasse de thé.
Il démolit les idoles de Mai 68: parfois, son burin dérape
On est là au coeur du combat de fond mené par le philosophe depuis des années: selon lui, les intellectuels français, tout occupés à célébrer les marges – « les schizophrènes de Deleuze, les prisonniers de Foucault, les sans-papiers de Badiou, les homosexuels » – ont oublié le corps central du pays, le peuple. Ce n’est pas un hasard si, en bon nietzschéen, il a passé ces dix dernières années à attaquer au burin les idoles de l’esprit de Mai 68: Sartre, quintessence de l' »intellectuel de gauche », accusé de compromission avec Vichy et d’aveuglement politique; Freud, précurseur de la libération sexuelle chère à Wilhelm Reich, soupçonné d’homophobie et de misogynie; Sade, enfin, icône subversive de Barthes à Sollers, dont Onfray rappelle que les séjours en prison étaient dus non aux écrits, mais aux tortures et aux viols qu’il a fait subir à des jeunes femmes…
Certes, tout à son entreprise de démolition, le burin d’Onfray dérape parfois et prend des libertés avec la vérité. Incontestablement, il y a chez lui une volupté à « penser contre ». Seul Albert Camus trouve vraiment grâce à ses yeux.
On comprend aisément qu’un tel programme ne lui vaille pas que des amis à gauche. Déjà, dans l’après-Charlie, il avait fait entendre sa voix dissonante: athée convaincu, il n’accordait aucune circonstance atténuante à l’islam. Plus récemment, à propos de la crise des migrants, il a fustigé les « grandes messes cathodiques de fraternité avec les populations étrangères ». Aggravant son cas, il a déclaré au Point « préférer une analyse juste d’Alain de Benoist [NDLR: penseur de la Nouvelle Droite] à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL », ce qui lui a valu les foudres de Manuel Valls, l’accusant de « perdre ses repères ». « Valls est un crétin! » rétorquera le philosophe…
Tout cela fait-il de cet homme, qui a voté Besancenot en 2002 et 2007, avant de se rapprocher de Mélenchon (avec lequel il est désormais brouillé), un suppôt de Marine Le Pen? Pas exactement. Il ferait plutôt songer à ce célèbre échange entre le journaliste Olivier Todd et Albert Camus. « M.Camus, appartenez-vous encore à la gauche? » Réponse de l’auteur de L’Etranger: « Oui, malgré elle et malgré moi »…
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Source : Gros plan – Google Actualités
