Les repères naturels ont tous été balayés : rues, parkings, voitures, façades. » L’envoyée spéciale de TF1 à Biot, dans les Alpes-Maritimes, a une bien étrange conception du « naturel ». Sa consœur de France 2 aussi. « Si la rivière est montée si brutalement, c’est parce qu’une montagne de débris s’est accumulée sous ce pont, l’eau ne pouvait plus s’écouler. » Le décès de trois pensionnaires de la maison de retraite de Biot a pour seuls responsables ces quelques branchages, voici la preuve par l’image :
« La rivière située à une quarantaine de mètres est sortie de son lit et c’est une vague de plus de deux mètres qui a déferlé dans ces jardins et frappé la maison de retraite. » Sauf que ce n’est pas une rivière. D’ailleurs, son « lit » est en béton. Comme le montrent les images. Et comme l’indique la reporter de TF1 : « La vague de deux à trois mètres provenait d’un canal d’évacuation des eaux de pluie. » Les retraitées ont donc été tuées par la défaillance d’un ouvrage construit par des humains. « A Biot, un bassin de rétention avait été dimensionné pour supporter une crue centenale, ajoute la journaliste. La crue d’hier soir a visiblement été encore plus forte. » Une crue millénaire ? On est tranquille pour un moment, alors.
Dimanche soir, dans les JT de TF1 et France 2, les « terribles inondations » provoquées par « un phénomène météo d’une violence inédite » ont laissé « un littoral dévasté, presque méconnaissable ». C’est sans doute pourquoi les reporters peinent à reconnaître le naturel de l’artificiel. Ils se pressent à Mandelieu où plusieurs personnes sont mortes dans les parkings souterrains de leurs résidences.
TF1 se contente de recueillir les témoignages des voisins « bouleversés ». « Ils ont du mal à exprimer leur émotion », révèle France 2 en recueillant leurs larmes. Mais la reporter précise : « Ils habitaient tous dans ces résidences construites dans une zone inondable tout près d’un petit ruisseau qui s’est transformé en fleuve et qui a tout emporté. » Ah bon ? Les habitants de Mandelieu ont donc été victimes d’un risque pris par des humains. Nul besoin d’être hydrologue pour le comprendre à la vue des images aériennes tournées par les deux chaînes.
« Prenons un peu de hauteur avec ces images tournées par hélicoptère », propose Laurent Delahousse. TF1 a même ouvert son journal avec les siennes. Excellente façon de mesurer l’urbanisation forcenée de la Côte d’Azur et de son arrière-pays. « Si les dégâts ont été aussi importants, explique Anne-Claire Coudray, c’est parce que les orages se sont abattus sur des zones très urbaines. » Ça y est ! TF1 va enfin évoquer l’artificialisation des sols comme une cause de la catastrophe…
Mais non, revoici les partouzes de bagnoles, pardon, « les voitures encastrées les unes sur les autres » (TF1) ou, pire, « encastrées les unes dans les autres » (France 2), dans des positions que la décence m’oblige à taire. Je me dois cependant de signaler aux autorités un cas de scooterophilie avéré perpétré par un Clio que j’ai surprise, emportée par la fièvre, pardon, la vague du samedi soir, en train d’abuser de l’innocent deux-roues d’un mineur. J’en appelle aussi au CSA pour sanctionner Laurent Delahousse, qui s’affiche devant une telle orgie à une heure de grande écoute :
« Nous tenterons de comprendre cet épisode extrêmement violent », a promis Laurent Delahousse en titre. « Arrêtons-nous un instant sur ce phénomène météorologique, propose également Anne-Claire Coudray. Que s’est-il passé concrètement ? » Après avoir fait le tour des dégâts, l’heure est venue des explications. Chaque chaîne décrit la rencontre entre l’air chaud et humide de la Méditerranée et l’air froid venu du nord, des conditions propices à « des orages habituels en cette période ». « Un système explosif apparaît, comme disent les météorologues » sur France 2 tandis que « se forme une cellule explosive, comme disent les météorologues » sur TF1.
Problème : l’orage explosif de samedi soir « se structure d’une manière particulière ». Selon le prévisionniste interrogé par France 2, c’est « un orage stationnaire », « à propagation rétrograde », précise sur TF1 le cofondateur d’un « Observatoire des tornades et orages violents ». Il prend à parti ses images radars : « L’orage a frappé une zone littorale qui n’est pas du tout une zone montagneuse et, malgré ça, il a réussi à rester sur place près de deux heures. Ce qui montre que le relief n’est pas à l’origine de cette situation. » « S’il y a eu autant de précipitations, c’est parce que l’orage s’est retrouvé bloqué par les reliefs des Alpes-Maritimes, comme le montrent ces images radars », dément le prévisionniste de France 2. Décidez-vous. Existe-t-il oui ou non des montagnes proches de la mer dans le département nommé Alpes-Martimes ? Si non, faudra-t-il le rebaptiser Beauce-Maritime ?
Le phénomène naturel (plus ou moins) élucidé, « comment expliquer que les conséquences ont été aussi dramatiques? », s’enquiert fort judicieusement Anne-Claire Coudray. « A vrai dire, y’a pas beaucoup d’explication, c’est ça le problème », répond en plateau Catherine Laborde, présentatrice de la météo. C’est réglé, n’en parlons plus.
Ce n’est même pas une question de couleur : « Les Alpes-Maritimes étaient en vigilance orange, poursuit la dame de la météo. On aurait pu avoir une vigilance rouge, ça n’aurait pas changé grand-chose. » « Déclencher le rouge n’aurait eu aucune incidence sur la gestion du phénomène », confirme France 2. « Le département était en vigilance orange, certains de vos collègues disent que ce n’était pas suffisant. Qu’est-ce que vous en pensez ? », vérifie Anne-Claire Coudray auprès du maire de Cannes. « Le problème n’est pas là », admet l’élu.
Non, le problème est au Marineland d’Antibes. « L’aquarium géant est totalement dévasté », deplore le reporter de TF1. Une fois encore, de très belles vues aériennes permettent d’apprécier le lac formé par ses hectares de parkings bitumés.
« Une situation évidemment moins tragique [que dans le campigng voisin où une femme est morte, ndlr] mais elle revêt un caractère d’urgence, assure l’envoyé spécial. C’est une course contre la montre pour sauver les animaux des eaux boueuses, dont ces otaries. » J’assiste en direct au sauvetage par les pompiers d’une tortue engloutie dans le parking de sa résidence.
« Il faut à tout prix lui trouver un bassin propre. Mais l’eau de mer dont s’approvisionne le Marineland est également polluée par l’inondation. » Je ne vois qu’une solution : exiler les orques, les otaries et les dauphins sur un rivage aux eaux cristallines où, selon France 2, le réchauffement climatique leur procurera un climat idéal, loin des « phénomènes violents » de la Méditerranée. Déménageons Marineland au Groenland.
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Source : Gros plan – Google Actualités