Jean-Pierre Coffe a l’air ravagé d’une mayonnaise qui a mal tourné. « C’est pas pour pousser un coup de gueule que vous êtes là, mais pour pousser un tout autre cri, indique Sophie Davant. Un cri peut-être d’émotion ou de désespoir. » Qu’est-il arrivé de si dramatique au critique gastronomique ? Lundi, Toute une histoire le reçoit à l’occasion de la sortie de son autobiographie, Une vie de Coffe. « Vous avez déjà fait plusieurs apparitions pour promouvoir votre livre, en quoi votre venue sur notre plateau est-elle différente ? » « Je suis le seul homme entouré de femmes », commence par faire remarquer Jean-Pierre Coffe.« C’est difficile à dire, hésite l’invité, aussi épanoui qu’un poulet de batterie. C’est un peu étrange qu’un homme n’arrive pas à faire le deuil d’un enfant qu’il aurait tant voulu. » Normalement, ça n’arrive qu’aux femmes. D’où l’étrangeté de la présence de Jean-Pierre Coffe dans cette émission intitulée Cet enfant me manquera toute ma vie. « Et finalement, j’ai perdu un enfant dans des circonstances dramatiques, avec une femme que j’aimais. Et finalement, ça a en partie bouleversé ma vie. » Et c’est seulement maintenant qu’il en parle ? Heureusement que Sophie Davant est là pour le faire accoucher.
« On va en savoir plus sur cette histoire, promet l’animatrice. Vous aviez tout juste la vingtaine quand vous avez appris que vous alliez devenir père. » « Quand j’ai appris que ma femme était enceinte, je l’ai pas trouvée si réjouie que ça », confie Jean-Pierre Coffe, aussi défait qu’une terrine avariée. « Le ventre s’arrondissait, vous aviez envie de le toucher ce ventre, rappelle Sophie Davant. Comment elle réagissait quand vous le touchiez ? » Ça la chatouillait ou ça la gratouillait ? « Elle disait rien mais ça l’agaçait. » « Est-ce qu’elle avait préparé la chambre ? » « Rien du tout. Pas de layette, rien. » C’est louche.
« Et puis un jour, je rentre du travail, raconte l’invité, aussi morne qu’un veau aux hormones. J’entends des gémissements, la porte de la salle de bains est ouverte et je vois ma femme dans une espèce de mare de sang. Et je vois qu’il y avait un bébé, un petit garçon dans le bidet. » Ça devient de plus en plus louche. Surtout quand, quelques heures plus tard, « en nettoyant, je découvre un tuyau en plastique, révèle Jean-Pierre Coffe. Je me rends à l’évidence, c’est un acte volontaire, un avortement voulu et non pas une fausse couche. Et là, pfff, tout s’écroule. » Comme un soufflé aux morilles.
« Est-ce que vous avez pris le temps de vous laisser aller à votre tristesse, à votre désespoir ? », s’enquiert Sophie Davant. « Non. » Grave erreur. « Votre couple n’a pas résisté à ça ? » « Non, comment voulez-vous ? J’avais été trahi et je ne connaissais pas les raisons. » L’animatrice interpelle la psy du plateau. « Yvonne ? » « Eh bien c’est une histoire très touchante d’autant que vous avez été brisé non seulement dans votre paternité mais brisé dans tous vos projets. » Comme disait Lacan, plus on est brisé, plus c’est touchant. « C’est comme si cette histoire avait changé le cours de votre vie. » Non, pas possible ?
« Dans les deuils, il y a plusieurs étapes, rappelle Yvonne. Vous êtes resté figé à cette étape de colère et vous avez besoin de mettre des gens dans vos bras. » Pauvres gens. « Il n’a pas évolué dans son processus de deuil », diagnostique Sophie Davant. « Il est resté enfoui, confirme la psy, c’est comme un kyste au fond de vous avec un désir ardent de vraiment prendre les gens dans vos bras, vous en parlez souvent dans votre livre. » Un kyste au fond de lui qui a le désir de prendre les gens dans ses bras ? Ça devient gore. « Je veux tellement prendre les enfants dans les bras », admet le patient. C’est son kyste qui le travaille. « Preuve est que cet événement a été pour vous hautement traumatique. » Sans déconner ?
« Ce qui est sûr, intervient Sophie Davant, c’est que les Français vous prennent dans leurs bras puisque ce livre reçoit un accueil incroyable. » « Oui mais vous savez Sophie, ce livre n’a pas été fait dans l’idée d’une thérapie. » Il y a la télévision pour ça. « Mais je me rends compte que je n’échapperai pas à ça. » « A la thérapie ? » « Non, à la poursuite de cette vision. » Celle de la mare de sang et du bébé dans le bidet.
« Mais vous en avez fait une, thérapie, pour franchir cette étape de la colère ?, s’inquiète Sophie Davant. Parce que c’est vrai qu’on sent tellement de colère en vous. » « Oui mais ça ne marche pas », assure le patient. « Mais vous y êtes allé ? », insiste la psycho-présentatrice. « Non, j’ai jamais fait de thérapie », finit par avouer le malade. « Moi, j’ai comme le pressentiment que le fait d’en parler comme ça, de réfléchir autant à ça et de partager comme vous le faites avec nous va vous aider peut-être à trouver l’apaisement. » Ce serait génial. Assister en direct à la guérison de Jean-Pierre Coffe quelques minutes seulement après avoir découvert le mal qui le ronge depuis cinquante ans…
Sophie Davant interpelle une autre patiente. « Gwenaëlle, comment vous réagissez au témoignage très sincère très touchant de Jean-Pierre ? » « Je me retrouve un peu dans le traumatisme de Jean-Pierre, répond Gwenaëlle, conciliante. J’ai perdu mon petit garçon, il avait six semaines, dans un accident de la route. Ça fait dix ans et tous les jours j’y pense encore. » « Tous les jours ? », s’assure Sophie Davant, intransigeante. « Oui. » « Qu’est-ce qui s’est passé exactement. » Encore une histoire de bidet et de mare de sang ?
“Et vous étiez consciente, vous avez tout de suite réalisé que votre enfant était décédé ?”
Gwenaëlle raconte un choc frontal et son enfant « éjecté du véhicule, décédé sur le coup ». « Vous avez compris tout de suite, vous étiez consciente ? », interroge Sophie Davant. « J’ai tout vécu : l’avant, le pendant, l’après. » Ça manque de détail. Surtout pendant le pendant, estime Sophie Davant. « C’est-à-dire que pendant le pendant j’imagine que vous étiez obsédée par… » « Oui. Je suis descendue de la voiture, il était à mes pieds, dans le fossé. » Ça change du bidet. « Et vous étiez consciente, vérifie encore Sophie Davant, vous avez tout de suite réalisé que votre enfant était décédé ? » Non, elle a cru qu’il était aller satisfaire une envie pressante dans le fossé.
« Je savais mais je voulais pas me l’avouer », admet la patiente. « Vous étiez dans le déni », déplore Sophie Davant. Encore une qui n’a pas pris le temps de se laisser aller à sa tristesse, à son désespoir. Elle va finir comme Jean-Pierre Coffe, avec un kyste qui veut prendre tout le monde dans ses bras. « Yvonne, y’a une mise à distance de l’horreur. » Pas à la télé, mais chez le patient. « C’est le propre du déni en état de choc, confirme la psy. Y’a une forme d’anesthésie émotionnelle. » Un peu comme si vous regardiez Toute une histoire tous les jours.
Et voici Colette, 69 ans, « le 15 février 1989, à 14h26 précisément, votre vie a basculé. Cette vie de famille que vous aviez mis tant d’années à construire a pris fin dans des circonstances dramatiques. » Pas d’accident de bidet ni de la circulation mais une « terrible explosion de gaz qui endeuillé le vieux Toulon » en tuant le mari et la fille de Colette. Sophie Davant redouble de pudeur pour lui faire expulser son kyste – « Comment vous avez appris que votre fille et votre mari faisaient partie de ces victimes ? » –, elle fait appel à son « imagination » (résumée dans des fiches) : « J’imagine que vous étiez extrêmement choquée. » « J’imagine que vous n’avez pas pu assister aux obsèques. » « J’ai pas voulu », corrige la patiente.
« Yvonne, comment expliquer ce refus d’aller aux obsèques qui doit compliquer ce travail de deuil ? » « Oui, parce qu’on est maintenu dans une phase de déni, vous devenez robotisée, diagnostique la psy. Assister aux funérailles, ça permet de sacraliser un peu la mort, c’est une symbolisation. Ce n’est pas un travail de deuil parce que vous avez dit que vous n’aimez pas ce mot et nous non plus dans cette émission. » C’est pour ça que Sophie Davant ne l’utilise que dans une phrase sur deux.
« Jean-Pierre, à quelle période de votre vie l’absence de cet enfant s’est-elle faite ressentir ? », demande l’animatrice. Avant ou après avoir nettoyé le bidet ? « Mais c’est tout le temps ! Puisque je n’en ai pas eu et je sais que maintenant ça n’arrivera plus, j’ai aucune chance d’en avoir. » On ne sait jamais, avec les progrès de la médecine dans les JT où les septuagénaires enfantent comme des lapins. Heureusement, le patient a eu la chance d’adopter une petite-cousine orpheline qui lui a donné des petits-enfants. « Vous avez trouvé le moyen d’assouvir ce besoin de transmettre », analyse Sophie Davant.
« Mon petit-fils, j’aimerais qu’il réussise sa vie », appuie Jean-Pierre Coffe. « C’est quoi, réussir sa vie ?, l’interrompt Sophie Davant. Vous l’avez réussie, la vôtre ? » « Ben non puisque j’ai pas eu d’enfants ! » Elle n’a rien suivi à sa propre émission… Elle est robotisée ou quoi ? « C’est ça mon problème, insiste le patient. Je ne peux pas dire que j’ai réussi ma vie. » Pas besoin d’être Sophie Davant pour comprendre que l’absence de travail de deuil est à l’origine de cet échec.
Colette, elle, a fini par faire son travail de deuil, qu’elle aime ou pas l’expression. « Maintenant tu es dans la vie et dans la verticalité », lui dit sa sœur Annie dans un reportage consacré à sa résurrection. « Ça fait plaisir de vous voir avec le sourire », se réjouit Sophie Davant. C’est vrai que l’émission l’a complètement transformée, épanouie. « Qu’est-ce que vous vous dites ? C’est la vie plus forte ? », interroge l’animatrice avec perspicacité. « La vie est plus forte que la mort », confirme la patiente.
« Gwenaëlle, vous avez essayé tout de suite d’aller vers la vie en tentant de faire un deuxième enfant, enchaîne Sophie Davant. Qu’est-ce qui s’est passé ? Cette naissance a été réparatrice ? » « Non, mon deuxième garçon, on l’a fait souffrir inconsciemment. » « D’un deuil qui n’avait pas été fait, déduit Sophie Davant, de plus en plus robotisée. Quel est le risque, Yvonne, dans cette situation ? C’est ce qu’on appelle un bébé de remplacement ? » Le grand remplacement? J’en ai entendu parler, ça a l’air effrayant.
“Vous en êtes où avec votre mari ? Toujours pas de dialogue ? Il a peut-être besoin de se faire aider.”
« Alors l’enfant de remplacement, c’est vrai qu’il souffre mais à votre insu, révèle la psy. Il y a souvent chez les enfants de remplacement un petit peu de tristesse, de la mélancolie mais ils sont très sages, ils essaient de faire le maximum pour vous faire plaisir. » « C’est ça, c’est l’enfant parfait », reconnaît Gwenaëlle. Cette psy est voyante. « Vous en êtes où avec votre mari ?, reprend l’animatrice. Toujours pas de dialogue ? Il a peut-être besoin de se faire aider. » Il devrait s’inscrire à Toute une histoire.
Sophie Davant revient sur l’événement hautement dramatique de Jean-Pierre Coffe. « Vous en aviez parlé, Jean-Pierre, à votre entourage ? » « Jamais, sauf peut-être Miou-Miou à qui j’en ai parlé une fois. » « Justement, avec le recul, vous ne vous dites pas que peut-être vous auriez été un peu soulagé de votre douleur d’en parler ? » « Non, je ne me dis pas ça », répond le patient totalement réfractaire au travail de deuil.
« J’ai pas envie d’en parler. » Sauf à la télé. « J’en parle parce que je pense que ça peut être utile si vous voulez à d’autres à qui ça peut arriver. » S’ils retrouvent leur femme dans une mare de sang et leur bébé dans le bidet. « Je suis venu parce que je vous respecte, que j’aime beaucoup ce que vous faites, je vous trouve très sincère. » Et si pudique. « Mais j’ai pas envie que ça devienne un exemple. » Ça n’intéresserait personne. « C’est mon affaire et c’est pas celle des autres. » Pas question de la déballer en public. « C’est mon problème à moi, ma douleur à moi. » Je la garde pour moi. « C’est très égoïste mais j’ai pas envie de partager ça. » Surtout pas à la télé.
Le patient tient à signaler sa clémence. « Je pourrais beaucoup en vouloir à ma femme, mais je ne sais même pas si elle est encore en vie et ça ne m’intéresse pas. » Qui sait ? Peut-être qu’elle regarde France 2 et qu’elle va le contacter pour tout recommencer à zéro.
La consultation s’achève, « c’est le deuil de la paternité que vous n’avez pas pu faire, conclut la psy. A l’adresse des deux femmes : Et vous, c’est le deuil d’un enfant. On ne fait jamais le deuil d’un enfant. » Tout ce travail pour rien ! « Merci à tous les trois d’avoir partagé avec nous ces périodes intimes de votre vie », conclut Sophie Davant. Et merci à Toute une histoire de promouvoir la valeur travail (de deuil).
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Source : Gros plan – Google Actualités