Un «Je refuse» sur l’air de «J’accuse». Jeudi, l’économiste français Thomas Piketty, chroniqueur à Libération et dont Le Capital du XXIe siècle s’est écoulé à 1,5 million d’exemplaires, s’imposant dans de nombreux pays comme un ouvrage de référence sur le processus d’accroissement des inégalités – et que notre ministre des Comptes publics devait enfin lire pendant la trêve des confiseurs -, a indiqué à l’AFP «refuser [sa] nomination» comme chevalier dans la dernière promotion de la Légion d’honneur, dévoilée quelques heures plus tôt.
«Je ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable», a dénoncé Piketty, paraphrasant Edmond Maire, avant d’inviter l’exécutif à «se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe.» Manière de brocarder la touche Ancien Régime de cette cuvée de gratification où se mêle chaque année légitimité et incongruité, le tout à la discrétion d’une monarchie républicaine notabilisée. Contacté par Libération, l’intéressé nous a précisé depuis l’étranger qu’il ignorait tout du projet de le décorer: «Sinon je leur aurais dit non tout de suite!»
Avant lui, Marcel Aymé, Jacques Tardi…
En 1949, Marcel Aymé, pressenti, l’avait par avance dit autrement au président Vincent Auriol, réplique fameuse: «Pour n’avoir plus à y revenir, pour ne plus me trouver dans le cas d’avoir à refuser d’aussi adorables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu’ils voulussent bien, leur Légion d’honneur, se la carrer dans le train comme aussi leurs plaisirs élyséens.» L’année dernière, l’auteur de BD Jacques Tardi avait, lui aussi, passé son tour, au nom de son «attachement farouche» à sa «liberté de pensée et de création». Sous Nicolas Sarkozy, l’ancien ministre de Pierre Messmer, Henri Torre, avait de même refusé, indigné que la proposition lui en soit faite: «Quand on voit que des [Ziad] Takkiedine et compagnie l’ont obtenue, je m’excuse mais ce n’est pas mon monde à moi».
Le refus de Piketty de laisser le pouvoir en place accrocher une rosette à sa boutonnière n’est pas si surprenant. Un temps proche des sphères socialistes, notamment durant la dernière présidentielle, l’économiste, déjà reconnu mais pas encore star, avait milité en faveur d’une réforme fiscale d’envergure avec une plus grande progressivité de l’impôt. Mais, sous la férule de l’alors ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, et sans que François Hollande n’y trouve à redire, seul un mini ajustement de la fiscalité du capital sur celle du travail a péniblement vu le jour. Loin de l’ambition affichée quelques mois plus tôt d’estrades en plateaux télé par le candidat à la rose.
Dès lors, le conseiller officieux, qui dénonce aussi le déséquilibre de la politique de l’offre engagée et le trop peu de soutien de la demande, s’est fait le procureur intransigeant des petits renoncements et des grandes lâchetés économiques du quinquennat hollandais.
Parmi les 690 autres personnalités promues, 570 chevaliers, 95 officiers, 19 commandeurs, cinq grands officiers et un grand’croix: l’ancien résistant Jean-Louis Crémieux-Brilhac.
A (re)lire: [Enquête] «Piketty, superstar aux States»
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Source : Gros plan – Google Actualités